Le marché des seniors est considéré pour beaucoup d’entreprises comme un eldorado, mais si le Silver économie fait référence à la fois aux cheveux gris et à la richesse, le prisme de l’âge n’est pas toujours bon. Ce marché est-il un mythe ou une réalité ?
Il est indéniable que les personnes âgées représentent un gros marché. Si on raisonne globalement, ils sont 15 millions soit 23,7 % de la population, ils représentent 57 % des dépenses de santé, 53 % de l’alimentation, 49 % des loisirs, dont les voyages, tout compris 34 %, 50 % de l’équipement du foyer. Lorsque l’on regarde ces chiffres, on est tenté de parler de « manne ». Pourtant, il faut remarquer que l’on raisonne en nombre de consommateurs, que l’on est sur un effet de masse qui recouvre des réalités très disparates.
Il faut bien voir qu’il y a plusieurs niveaux : la consommation directe et la consommation indirecte. Jusqu’à 65 ans, les personnes âgées sont de gros consommateurs directs, par exemple de voyages, notamment ceux qui disposent d’un bon pouvoir d’achat ; en devenant plus vieux ils vont continuer à consommer, mais de façon indirecte, en faisant des dons et cadeaux à leurs enfants et petits-enfants.
Donc oui, ce sont de grands consommateurs, mais il faut être prudent en terme de marketing, ne pas raisonner sur le global, mais par segments en tenant compte du mode de vie ou des habitudes antérieures.
On peut pour illustrer ce propos prendre l’exemple du bio. La consommation de produits bio ne touche pas les plus anciens qui sont encore dans la peur de manquer, alors que les plus jeunes seniors sont davantage dans une consommation liée à un idéal de vie, à de nouvelles valeurs.
La génération des baby-boomers comprend des sous-ensembles, alors que la génération précédente était plus homogène dans sa manière de consommer. De par une éducation stricte et le vécu de la guerre, les dépenses de première nécessité sont prédominantes, dans un souci de ne pas dépenser trop. Les moins âgés ont connu le boom, des révolutions sociales, et sont plus individualistes, à l’écoute d’eux-mêmes et de leur communauté.
Ne pas se figer alors que la société est mouvante
On voit donc qu’il y a une grande hétérogénéité dans cette population. Les jeunes seniors par exemple ne veulent plus d’excursions en bus comme la génération précédente qui avait peu voyagé ; ils veulent des offres différentes.
L’appétence pour les nouvelles technologies est liée à diverses motivations en rapport non pas à la génération, mais à l’individu dans son environnement. Il y a ainsi des facteurs psychosociaux avec le rôle prépondérant de la famille, des facteurs d’usage (par exemple, une personne âgée apprend à utiliser « Skype » pour maintenir le contact avec un fils qui vit à l’étranger), des aspects personnels (projet de vie) et des facteurs expérientiels (quelqu’un qui a beaucoup voyagé sera plus ouvert).
Les retraités actuels ont un pouvoir d’achat relativement élevé par rapport aux actifs, mais uniquement si l’on raisonne de façon globale, en termes de masse, car les situations individuelles sont diverses. Les personnes seules ont davantage de difficultés que les couples. De plus, les choses commencent à évoluer depuis la crise. Les retraites sont d’ores et déjà inférieures à ce qu’elles pouvaient être il y a dix ans.
Dans ce contexte, il faut être pragmatique ; ne pas viser des âges, mais des profils, ce qui n’est pas toujours perçu par les industriels. Il faut bien voir qu’avec un nouveau produit ou service on s’adresse à une catégorie de personnes, à un temps donné, et pour une durée limitée. Rien n’est jamais acquis, les marchés évoluent en permanence et l’offre doit s’adapter avec souplesse.
Innovons…
La Silver économie n’est pas un moteur en soi. C’est la capacité à innover et à répondre aux besoins d’une société en évolution permanente qui est un moteur pour l’économie. Le principe de filière est très pertinent, car il permet de rassembler autour d’une même table différents acteurs économiques, industriels, politiques et financeurs afin de mettre en place des stratégies partagées et de profiter des retours d’expérience de chacun.
Même les modes de production sont en train de connaître de grandes évolutions. L’imprimante 3D commence à tout changer. Il n’est plus besoin de raisonner sur de grosses chaînes rentables, car on s’éloigne de la consommation de masse, on va vers une individualisation, une personnalisation des produits.
Dans peu de temps, le consommateur commandera ce qu’il veut, lui, en tant qu’individu. En Chine, les premières maisons sont réalisées avec des imprimantes 3D. On n’est plus dans la logique de l’uniformisation pour faire des économiques d’échelle.
On customise tout. Un chef d’entreprise aujourd’hui ne peut pas cibler uniquement les vieux et surtout pas sur du long terme ; il faut observer et imaginer sans cesse quels besoins vont apparaître et y répondre sur des cycles de plus en plus courts et de plus en plus personnalisés.
…De manière intelligente
L’innovation est encouragée et bénéficie par conséquent de financement public. Or, cela pose un réel problème ; les collectivités ou l’état lancent des appels à projets ; on regroupe universités et écoles d’ingénieurs pour avoir de la valeur ajoutée, mais la somme des individus ne permet pas de passer un cap, car chacun utilise le financement pour son propre intérêt. Plusieurs dizaines de millions par an sont ainsi dépensés pour un résultat quasi nul.
Les politiques décrètent l’innovation et par conséquent on retombe dans les travers habituels : c’est ainsi qu’on finance à nouveau des expérimentations qui ont déjà été faites dans d’autres régions. Il faudrait faire l’inverse : détecter des entreprises qui sont déjà sur une innovation. On doit accompagner l’innovation quand elle arrive, elle ne se décrète pas.